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La peur peut-elle être un moteur de confiance en soi ?

Interview de Dina Hamdani, psychologue clinicienne et psychothérapeute

Cette interview a été réalisée afin de comprendre les liens entre la peur qui peut être suscitée dans les activités ludiques horrifiques et ses effets positifs sur notre corps et notre esprit.

C : Bonjour Dina, je pense qu’on peut commencer par une rapide présentation sur vous et votre parcours…

Je suis Dina Hamdani, je suis psychologue clinicienne. J’exerce en activité partielle en tant que psychologue en libéral, et également dans une unité de soin psychiatrique dans le secteur public. Je reçois des enfants, des adolescents et des adultes, mais plus majoritairement des adultes.

C : Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de choisir ce domaine plutôt qu’un autre ?

Plusieurs choses. Je me suis toujours intéressée au comportement humain, aux intéractions entre différentes personnes, aux relations sociales. J’ai développé un réel intérêt pour la compréhension de ce qui motive les réactions.

Je me suis spécialisée dans des formes de thérapies axées sur le comportement, les valeurs, et l’impact que cela peut avoir sur le bien-être et la vie en général.

C : Quel âge ont en moyenne vos patients ?

Entre 15 et 35 ans.

C : Est-ce que depuis l’épidémie du COVID vous avez une plus grande population de patients adultes ?

Il y a eu une augmentation des consultations et des demandes de soins, en particulier dans l’unité psychiatrique où je travaille. Il y a eu une augmentation des hospitalisations avec l’arrivée de patients assez jeunes sans antécédents psychiatriques francs, ce qui traduit une décompensation d’une vulnérabilité liée au COVID, avec celui-ci identifié comme gros facteur de stress.

Cette augmentation s’est aussi observée dans le nombre de démarches faites pour avoir des soins.

« J’ai aussi des patients qui ont du mal à prendre du plaisir, à faire des choses plaisantes ou même à ressentir des émotions agréables. »

C : Quels sont les sujets les plus abordés avec ces patients ?

Il y a des personnes qui étaient déjà isolées, et dû au covid, le sentiment de solitude s’est vu renforcé. Le peu de contact avec les autres dû aux confinements, ne plus pouvoir aller dans les lieux de sociabilisation comme l’école, la fac, le travail, et ne pas pouvoir avoir des loisirs extérieurs, ont participé à un ressentiment fort d’isolement chez certaines personnes, que ce soit l’isolement ressenti ou l’isolement de manière objective. 

On a aussi d’autres demandes de patients plus orientées vers les valeurs, le sens qu’a leur vie. De plus en plus de personnes viennent pour faire le point sur leur vie, ce qui fonctionne ou non à l’intérieur de celle-ci, quel sens elle prend en étant moins parasité par le quotidien et la frénésie du monde dans lequel on vit. 

L’une des demandes que j’ai le plus régulièrement et depuis avant le COVID, c’est la confiance en soi. C’est une question que l’on a besoin de creuser avec le patient car il y a toujours quelque chose de caché derrière la phrase “Je n’ai pas confiance en moi”. Par exemple, il y a des personnes qui vont avoir confiance en elles au travail mais vont être très en difficulté pour engager des relations sociales. L’idée est donc de préciser avec eux en thérapie d’où vient vraiment le problème : est-ce momentané, réactionnel, dû à un événement ou à un échec ? Souvent cela s’avère beaucoup plus profond que le simple fait d’hésiter à prendre la parole en réunion par exemple. Une demande qui peut paraître similaire d’un patient à l’autre n’aura finalement pas la même origine.

Parmi les autres demandes, j’ai aussi des patients qui ont du mal à prendre du plaisir, à faire des choses plaisantes ou même à ressentir des émotions agréables. Il y a des troubles qui existent dans ce sens là, on va parler d’alexithymie : ce sont des personnes qui ont du mal à identifier leurs émotions, à les ressentir dans le corps. Ce sont des troubles que l’on va retrouver dans l’autisme par exemple, et cela peut impacter des gens qui n’ont pas de troubles psychiatriques. C’est un trouble qui est assez extrême mais de manière générale j’ai des patients qui, du fait d’avoir expérimenté des émotions difficiles dans l’enfance, ou qui ont reçu une éducation dans laquelle les émotions n’avaient pas leur place, ont mis de côté ces émotions, ont du mal à percevoir les signaux physiologiques et ont donc un panel des émotions rétréci. J’ai des personnes qui ne ressentent parfois rien. Cela peut être aussi dû à l’humeur. C’était le cas avec le COVID, ça s’est déclenché chez certaines personnes à cause du manque de stimulation et de plaisir dans le quotidien.

« On apprend très tôt à jouer avec la peur, […] Tout cela est intégré dans un contexte de jeu, donc dans un contexte ludique. »

C : Concernant les émotions, il y en a une qui nous intéresse tout particulièrement : la peur. Qu’est-ce que la peur exactement ? Et pourquoi aimons-nous nous faire peur ?

La peur est une émotion primaire. C’est une émotion aversive qui a la fonction de nous garder en sécurité dans des environnements dangereux. Elle a donc un aspect très protecteur, très instinctif, pour nous aider à survivre en tant qu’espèce. C’est la définition de la peur, mais elle a plein de déclinaisons liées au fait notamment de son côté très instinctif, comme les réactions automatique : on n’a pas le temps de faire un traitement raisonné de l’information , c’est une voie très courte et très grossière que l’on a dans le cerveau, qui est faite pour se protéger de choses menaçantes intégrées très tôt, qui sont innées et qui seront complétées au fur et à mesure de la vie pendant l’âge adulte.

Sur la question de “Pourquoi va-t-on chercher à se faire peur ?”, je vais l’expliquer comme on le voit souvent dans la littérature. La première chose est que l’on apprend très tôt à jouer avec la peur, les enfants jouent avec leurs parents à se faire peur, à se courir après, surprendre derrière une porte, etc. Tout cela est intégré dans un contexte de jeu, donc dans un contexte ludique. La deuxième chose est que la peur entraîne des fluctuations au niveau cardiaque, ce qui altère notre état. L’organisme va donc chercher à revenir sur un état de sécurité, avec un rythme cardiaque normal, et une respiration normale. On en retire du plaisir quand cela fluctue assez, et dans une dose suffisante. Si on passe au-dessus de cette zone de tolérance qui est individuelle, on peut être terrifié et moins prendre de plaisir.

C : Je reçois beaucoup d’avis de personnes intéressées par nos expériences, qui généralement me disent “J’aimerais bien essayer, mais j’ai trop peur !”. Ces personnes ont donc peur de passer au-delà de leur zone de tolérance, et ne s’autorisent pas à essayer à cause de cette peur.

Tout le monde n’a pas la même vulnérabilité. Il y a des personnes qui, quand elles ont peur, ont du mal à redescendre en état de sécurité. L’une des structures qui gère les émotions, l’amygdale, va être stimulée de manière beaucoup plus rapide et intense chez certains. Ces personnes vont intégrer que ce sont des situations qui ne sont pas agréables pour elles et ne vont pas réussir à ressentir une dose suffisante de plaisir pour que les deux émotions, peur et plaisir, puissent cohabiter.

La personne sait que cela va lui déclencher de la peur mais que c’est cadré : la quantité d’incertitude et de surprise reste dosée. On ne se dit pas “je vais avoir un arrêt cardiaque en regardant un film d’horreur” !

C : Je pense que j’ai longtemps fait partie de ces personnes-là mais j’avais tout de même une fascination et une curiosité pour ce qui fait peur. Lorsque je tentais l’expérience, et que je me faisais peur dans un jeu ou en regardant un film, je n’en ressortais pas traumatisée, mais plus confiante. J’avais la sensation d’avoir survécu à quelque chose. Petit à petit j’ai donc pu augmenter ma zone de tolérance. Comment peut-on expliquer ce phénomène ? Est-ce que la peur peut être un moteur de confiance en soi ? Et si oui, pourquoi ?

Le cerveau est un organe qui est beaucoup dans la prédiction. Il va tout le temps prédire, avant que les choses ne se passent. Si on lui présente les choses comme étant ludiques, mais où il va possiblement avoir peur, c’est possible qu’il puisse s’approcher de cette situation. La personne sait que cela va lui déclencher de la peur mais que c’est cadré : la quantité d’incertitude et de surprise reste dosée. On ne se dit pas “je vais avoir un arrêt cardiaque en regardant un film d’horreur” !

Dans un contexte de jeu, on va aussi attiser la curiosité. Le jeu est un besoin primaire, on le fait depuis notre petite enfance, il fait partie de notre existence, on connaît cette situation et on peut se sentir plus confiant.

Pour répondre à la question de se sentir confiant après ces expériences, la peur sécrète des hormones : de l’adrénaline, du cortisol, qui vont mobiliser le corps et l’organisme pour décider ce qu’on fait (fuite, immobilité ?…). Et dans le jeu il y a aussi du plaisir, qui sécrètent des hormones de bien-être comme la dopamine, les endorphines qui restent dans le corps et qui font qu’après l’expérience, on se sent bien. 

Les expériences de tous les jours provoquent des stimulus extérieurs qui ont un impact sur nous, cela passe par l’analyse de la situation, par exemple une promotion. On va se dire “Youpi c’est positif !”, ce qui est une information qui va du cerveau vers le corps, mais des fois il y a des informations qui vont du corps vers le cerveau. Après le jeu, je ressens ces sensations de bien-être liées aux hormones, cela envoie l’information à mon cerveau qui interprète “Cela m’a fait du bien ! C’est donc positif pour moi !”. Quand on fait le parallèle avec le sport, la sécrétion des hormones après une séance va améliorer l’humeur et l’estime de soi (car on va trouver notre corps plus joli) et cela va améliorer la confiance.

« Il ne faut pas oublier qu’il ne peut rien nous arriver en ayant peur ! »

C : Mon objectif est de rester dans la peur raisonnée. Donc si je résume, les mécaniques de jeu vont venir tromper le cerveau pour déclencher ces hormones, et procurer du bien-être.  Tout cela dans un contexte récréationnel.

Une fois dans le jeu, le cerveau active quand même le cœur, la respiration, et donc le système nerveux dérive de son état habituel vers un état d’insécurité. Et dans le même temps, comme c’est un jeu et que l’état est un peu contrôlé, le cerveau sait que c’est mesurable et dosé. On reste sur le qui-vive mais on n’atteint pas le pic de peur comme avec un screamer. Je pense que dans ce que vous proposez comme jeu, le fait de cibler le dérèglement optimal pourrait être intéressant pour pouvoir faire coïncider la peur avec le plaisir, l’excitation, la surprise et la curiosité.

C : Que pourrait-on dire aux personnes qui pensent avoir trop peur pour venir jouer à ce jeu ?

Dans le fait d’expérimenter un jeu, une maison hantée ou un film d’horreur, il y a quand même des motivations internes dues aux goûts et à la curiosité. Pour certains, il n’y a pas de motivation interne, mais la motivation peut être externe. Par exemple, on va participer parce que les collègues, les amis ou les membres de la famille y vont, et qu’on souhaite partager ça avec eux. Il ne faut pas oublier qu’il ne peut rien nous arriver en ayant peur ! C’est quelque chose de complètement instinctif. 

Mais cela reste important d’avoir la motivation car ceux qui auront peu de motivation interne peuvent avoir une moins bonne expérience de jeu. Cela ne sera pas intolérable mais si on mesure le plaisir d’avoir joué, on verra que ces personnes ont pris moins de plaisir.

« Chaque nouveau comportement peut être un risque. Ce qui est important c’est d’y intégrer la notion de valeur […] Parfois cela va être le fait de se prouver à soi des choses, et aux autres »

C : J’ai des proches qui sont très sensibles à cela et qui m’ont dit que même s’ils avaient peur, le fait de pouvoir sortir de cette expérience grandi leur donnait envie de tenter l’aventure. Pourtant, même si ces personnes ont envie de profiter des bienfaits de l’expérience, il me semble important de venir découvrir l’expérience en ayant déjà une appétence pour ce type d’univers, afin de pouvoir en profiter au maximum.

Le fait d’expérimenter tout ce qui tourne autour de la peur est surtout lié au fait de vouloir avoir de nouvelles expériences. Tout le monde va plus ou moins prendre des risques, et même si dans notre contexte on va en priorité penser au fait de se confronter à un jeu effrayant, pour certaines personnes la prise de risque sera très différente, comme par exemple : parler en public, prendre l’avion, faire une thérapie… Chaque nouveau comportement peut être un risque. Ce qui est important c’est d’y intégrer la notion de valeur : ce pour quoi on va aller faire cette expérience, au service de quoi (ça peut être la justice, la liberté, l’indépendance, l’aventure, la nouveauté…). Parfois cela va être le fait de se prouver à soi des choses, et aux autres, d’où le fait que le jeu se joue en équipe, on va pouvoir prouver aux autres des choses qui nous semblent importantes.

C : Est-ce qu’on peut dire que le jeu peut révéler des choses chez les joueurs qui ont peur mais qui vivent l’expérience à son potentiel maximal ?

Absolument. Toutes les valeurs dont j’ai parlé par rapport à la prise de risque peuvent se retrouver stimulées. Si des personnes dont la tête leur raconte des choses désagréables comme “tu n’y arrives pas, tu n’es pas utile…” se confrontent au jeu et font des petites actions qui vont à l’encontre de ce que leur tête leur dit ou ce qu’ils pensent d’eux-même, cela va être intéressant car en surpassant leur peur, ils vont aussi surpasser ces croyances limitantes. Ils vont se prouver qu’ils peuvent réagir différemment. Pouvoir se surpasser dans un environnement contrôlé avec des collègues etc. permet d’agir différemment, d’être dans l’entraide si on est très indépendant, de mieux gérer l’incertitude si on a tendance à être stressé, d’apprendre à se faire confiance et beaucoup d’autres choses. 

C : Cela va donc avoir des effets bénéfiques dans un contexte de teambuilding.

Oui, comme je l’ai dit précédemment. Cela peut aussi développer la flexibilité des personnes qui agissent et réagissent toujours de la même manière : ils peuvent voir qu’il y a d’autres possibilités, que les autres peuvent réagir différemment et donc cela va les pousser à évoluer, changer leur vision des choses pour s’améliorer et se surprendre.

Aussi, par rapport aux personnes qui ressentent peu, qui identifient mal leurs sensations, cela va leur permettre de se reconnecter au corps, de reconnaître les signaux qu’on a et qu’on choisit de prendre en compte ou pas. Les émotions nous permettent de survivre mais cela reste des données. Ce n’est pas parce qu’on a peur, qu’on va être stressé et sous pression qu’on ne pourra pas surpasser ça.

Interview réalisée et retranscrite par Charlotte Cattus, février 2022.

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